Par Dr Laurent BOUHANNA (Vétérinaire spécialiste en ophtalmologie à Paris)
Le séquestre cornéen est une affection spécifique du chat dont le diagnostic est souvent facile. En effet, le séquestre se présente comme une opacité cornéenne de forme arrondie et de couleur marron ou noire. Le traitement chirurgical du séquestre cornéen par kératectomie superficielle peut permettre d’obtenir de bons résultats.
Cette maladie atteint le plus souvent les chats Persans, Siamois et Burmeses. On peut aussi la rencontrer chez les chats Européens. Etiologie du séquestre cornéen félin
Eléments de physio-pathologie
Bien que de nombreuses théories aient été proposées, l’étiologie exacte de cette affection n’a pas été encore clairement déterminée. Des traumatismes cornéens, une irritation cornéenne chronique, des modifications dans la composition des larmes, une maladie métabolique primaire, un agent infectieux (herpès virus) ou bien un déterminisme génétique seraient des facteurs prédisposants, voire déterminants, dans le développement du séquestre cornéen félin. L’importance relative de chacune de ces causes est encore peu connue.
L’affection est caractérisée par une nécrose localisée de l’épithélium cornéen et du stroma cornéen dans sa partie antérieure. Lors de ce processus de momification, le séquestre se trouve enchassé dans l’épaisseur de la cornée. Ce séquestre se pigmente progressivement et a tendance, dans le même temps, à faire protrusion à la surface de la cornée. Le séquestre se présente alors comme une plaque noire ou marron foncé.
Etude clinique
Dans la plupart des cas, on note chez les chats présentés une lésion noire au centre de la cornée (Photo 1). Dans les cas précoces, on note simplement une légère coloration brune, n’atteignant pas le stroma profond. A ce stade, il n’y a pas de signe d’irritation oculaire. Au cours du temps, la zone se pigmente et des signes tels qu’épiphora, blépharospasme et éventuellement photophobie apparaissent.Le séquestre peut-être soit enchassé dans l’épaisseur de la cornée (Photo 2), soit faire protrusion à la surface de la cornée (Photo 3).
La profondeur du séquestre dans l’épaisseur cornéenne est la encore très variable suivant les cas. On constate souvent une vascularisation cornéenne interstitielle en périphérie de la lésion. Dans des cas très avancés, on peut trouver une réaction vasculaire intense (Photo 4).
En résumé :
– Le séquestre cornéen félin est caractérisé par une opacité de forme arrondie et de couleur marron ou noire.
– Les chats Persans sont les plus prédisposés à développer un séquestre cornéen.
– L’étiologie exacte du séquestre cornéen reste encore inconnue, mais plusieurs facteurs semblent être en cause (hérédité, virus herpès, irritation cornéenne chronique…).
Traitement
L’exérese du séquestre peut-être réalisée par kératectomie superficielle. Les résultats sont souvent excellents. Il est cependant important que la kératectomie n’atteigne pas les couches profondes du stroma cornéen.
Remarque : Dans les cas de séquestrès cornéens très profonds, il est conseillé d’opter pour une chirurgie de greffe cornéenne de type transfixiante.
Avant de traiter chirurgicalement le séquestre cornéen, il convient de réaliser un examen oculaire le plus complet possible. Cet examen a pour but de mettre en évidence la présence éventuelle de facteurs prédisposant au développement du séquestre, tels une insuffisance lacrymale, un trouble qualitatif de la composition des larmes, un entropion, un distichiasis ou un trichiasis.
Les facteurs prédisposants mis en évidence doivent être corrigés dans le but de limiter les risques de récidive du séquestre cornéen.
La kératectomie superficielle : description de la technique
– Technique chirurgicale
La kératectomie superficielle correspond à l’excision de l’épithélium cornéen et d’une partie du stroma antérieur.
Une incision cornéenne est réalisée à l’aide du porte-lame de Troutman et de la lame de bistouri préparée.
Cette incision encercle la périphérie du séquestre cornéen.
La kératectomie superficielle doit se limiter au maximum à la partie de cornée lésée.
La profondeur de l’incision dépend de l’estimation préalable de la profondeur du séquestre. L’idéal est de ne pas dépasser la moitié de l’épaisseur de la cornée, soit environ 0,3 mm.
Dans le cas d’une kératectomie plus profonde, une greffe conjonctivale est alors conseillée.
Souvent, une couronne vasculaire encercle la séquestre et une hémorragie peut se produire au cours de l’incision.
Une fois l’incision cornéenne réalisée à la profondeur adéquate sur tout le pourtour du séquestre, un bord du séquestre est maintenu à l’aide de la pince de Bonn (pince atraumatique pour la cornée) . La dissection du stroma est réalisée à l’aide de la lame de bistouri toujours dans le même plan de dissection. La lame de bistouri est maintenue perpendiculairement par rapport au plan de la cornée. Le bord tranchant est dirigé vers le haut. La kératectomie est réalisée par des mouvements de gauche à droite du bistouri, toujours dans le même plan .
après la kératectomie, une tarsorraphie classique est réalisée pour recouvrir la plaie chirurgicale et favoriser ainsi la cicatrisation cornéenne.
– Soins post-opératoires
La tarsorraphie est laissée en place pendant 2 semaines.
Les soins post-opératoires consistent en l’instillation d’un collyre antibiotique à large spectre quatre fois par jour pendant trois semaines et d’un collyre à l’atropine 0,5%, deux fois par jour pendant une semaine.
Une collerette est mise en place pendant deux semaines jusqu’au retrait des points de la tarsorraphie.
Des remaniements des tissus cornéens cicatrisés se produisent pendant plusieurs mois.
Ainsi, le résultat final et en particulier la transparence cornéenne ne doivent pas être jugés avant 3 à 6 mois.
Pronostic
Le pronostic après traitement chirurgical du séquestre cornéen est bon. Cependant, des récidives, bien que rares, sont tout de même possibles.
La correction d’éventuels troubles oculaires associés, tels entropion, kérato-conjonctivite sèche ou trichiasis permet de diminuer ces risques de récidive.
La prescription de larmes artificielles à long terme peut aider à prévenir d’éventuelles récidives en protégeant la surface cornéenne.
Conclusion
De nombreuses théories tentent de cerner l’étiologie du séquestre cornéen félin. De nombreuses publications suggèrent une prédisposition chez les chats ayant connu auparavant un traumatisme cornéen, un entropion, une infection virale herpétique ou enfin une kérato-conjonctivite sèche.
Avant d’entreprendre le traitement du séquestre cornéen, il convient donc de chercher à mettre en évidence la présence de ce type de facteurs favorisants, puis de les traiter lorsque cela est possible.
Ce n’est que dans un second temps que l’on pourra alors envisager une chirurgie de kératectomie superficielle permettant l’exérese du séquestre cornéen. Bibliographie
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