Traitement par le Dr Laurent BOUHANNA (Vétérinaire spécialiste en ophtalmologie à Paris)
Le traitement chirurgical de la cataracte est à l’heure actuelle bien codifié. La technique de phaco-émulsification permet d’obtenir de très bons résultats.
1/ Examen pré-opératoire cataracte chien chat
Examen clinique général
L’examen clinique général doit être complet. En effet, d’autres affections peuvent accompagner la cataracte et doivent être obligatoirement recherchées comme une infection, un hypercorticisme, etc…
Les examens sanguins de routine (bilan biochimique), ainsi qu’un bilan cardiovasculaire et respiratoire seront envisagés.
Un examen ophtalmologique complet est réalisé et doit définir si la cataracte diagnostiquée est une bonne ou une mauvaise indication chirurgicale (Photo n°1) . En particulier, un test de Schirmer, la biomicroscopie en lampe à fente, la mesure de la pression intra-oculaire et un examen du fond d’oeil lorsque celui-ci est visible sont entrepris. Le but est de détecter la présence éventuelle d’une uvéite, d’un glaucome, d’une affection cornéenne, d’un décollement rétinien ou d’une atrophie rétinienne progressive qui contre-indiquent l’intervention (cas de l’A.R.P.) ou la retardent dans le temps (cas de l’uvéite phaco-antigénique modérée).
Détection d’une uvéite phaco-antigénique
L’uvéite phaco-antigénique est relativement fréquente lors de cataracte mature ou hyper-mature. Cette uvéite s’explique par la libération dans l’humeur aqueuse de protéines cristalliniennes responsables de l’inflammation. L’uvéite phaco-antigénique se traduit souvent par une résistance de la pupille à la dilatation lors d’instillation de Mydriaticum(r). D’autres signes comme par exemple une baisse de la pression intra-oculaire (inférieure à 10 mm de Hg), des synéchies postérieures, un changement de teinte de l’iris et plus rarement un effet Tyndall, un hypopion ou des précipités rétro-kératiques peuvent être notés.
Il est essentiel de traiter ces uvéites avant d’entreprendre toute intervention chirurgicale. Dans les cas d’uvéites à un stade avancé, il est préférable de ne pas intervenir, car les risques de complications post-opératoires sont trop importants.
Le traitement de l’uvéite phaco-induite consiste en l’emploi d’atropine en collyre, de corticoides en topique, et d’un AINS par voie générale. Les corticoïdes par voie générale sont bien-sur contre-indiqués lors de diabète.
Une étude portant sur 62 chiens a montré que la réussite opératoire à 6 mois était de 95% chez des chiens dont la cataracte n’était pas associée à une uvéite phaco-antigénique et qu’elle était de 52% pour les chiens dont la cataracte était compliquée d’une uvéite phaco-antigénique. l’ERG
Un ERG (éléctro-rétinogramme) est réalisé lorsque persiste le moindre doute sur le fonctionnement rétinien. Rappelons que les réflexes photo-moteurs ont une valeur d’orientation, mais ne permettent jamais de conclure définitivement quant au bon fonctionnement de la rétine. En effet, seules les atteintes rétiniennes à un stade avancé entraînent la disparition de ces réflexes. Ceci signifie que les réflexes photo-moteurs peuvent être encore conservés, alors qu’une atrophie rétinienne est présente.
2/ Les techniques chirurgicales
Plusieurs techniques chirurgicales existent pour traiter la cataracte. Les méthodes extra-capsulaires sont les plus courantes et en particulier la technique par phaco-émulsification.
Photo n°3 : Appareil de phaco-émulsification
a/ La technique d’extraction du cristallin par phaco-émulsification
Le pourcentage de succès de la chirurgie de la cataracte n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années pour atteindre 90 a 95%. Cette évolution est allée de pair avec la généralisation de la technique de phaco-émulsification.
Le principe
La phaco-émulsification correspond à la fragmentation du cristallin à l’intérieur du sac cristallinien à l’aide d’une sonde en titane produisant des ultra-sons, et à l’irrigation-aspiration simultanée permettant d’éliminer les fragments de cristallin émulsifié.
Il s’agit d’une technique microchirurgicale qui à l’intérêt par rapport aux techniques d’extraction manuelle du cristallin de ne nécessiter qu’une incision cornéenne de 3,2 mm.
D’autre part, l’irrigation constante permet de maintenir la chambre antérieure constamment remplie et d’obtenir une visualisation parfaite de chaque étape de l’intervention et de tous les mouvements effectués par le chirurgien. Le temps d’intervention est plus court, les traitements pré-opératoires et post-opératoires sont moins contraignants et les complications beaucoup plus rares. En particulier, l’inflammation post-opératoire est moindre que dans les autres techniques.
A l’heure actuelle, des lentilles intra-oculaires pliables peuvent être introduites tout en conservant l’incision de petite taille et en gardant donc les bénéfices de la chirurgie à globe fermé (Gaiddon, 1997).
Chirurgie de la cataracte par phaco-émulsification chez un chat avec pose de lentille intra-oculaire : Voir le film Traitement pré-opératoire
Un collyre anti-inflammatoire non stéroidien (Ocufen (r) collyre) est instillé à partir de 5 jours avant l’intervention. Une injection d’acide tolfénamique (Tolfédine (r)) est effectuée une demi-heure avant le début de l’intervention. Une dilatation pupillaire préalable est obligatoire. Deux collyres mydriatiques (Mydriaticum et Néosynéphrine à 10% collyre) sont instillés à partir d’une heure avant l’intervention.
La technique de phaco-émulsification
La phaco-émulsification est une technique microchirurgicale qui nécessite un microscope à illumination coaxiale.
– L’animal est placé de telle sorte que le plan de l’iris soit parallèle au plan de la table.
– Une désinfection locale est effectuée.
– Dans un premier temps, le globe oculaire est fixé à l’aide de quatre fils sur les quatre muscles droits
– Une incision cornéenne au limbe est effectuée à l’aide d’un couteau à kératotomie de 30°. L’incision cornéenne est suivie d’une incision capsulaire antérieure.
Un calibrage de l’incision cornéenne à 3,2 mm est ensuite réalisé à l’aide d’un couteau pré-calibré.
– Une hydrodissection à l’aide d’une seringue de soluté BSS et d’une canule spécialement conçue à cet usage permet la séparation du sac capsulaire et de l’épinoyau.
– La sonde de phaco-émulsification est introduite dans le sac cristallinien au contact du cristallin. Les ultra-sons émis par la sonde émulsifient le cortex et le noyau cristallinien. Le systeme d’irrigation-aspiration permet d’éliminer les morceaux fragmentés.
– Les masses corticales résiduelles sont éliminées avec une piece à main spécialement adaptée à l’irrigation et à l’aspiration.
– Un produit visco-élastique (Viscoat (r)) est introduit dans la chambre antérieure. Ce produit permet par sa viscosité de maintenir la profondeur de la chambre antérieure et de protéger l’endothélium cornéen lors de la capsulectomie antérieure.
– Une découpe de la capsule antérieure (= capsulectomie) est réalisée aux ciseaux à capsule de Cornic. Cette capsulectomie antérieure doit être la plus circulaire possible. Le produit visco-élastique est ensuite retiré de la chambre antérieure à l’aide de la sonde d’irrigation-aspiration.
– Enfin, une suture cornéenne à l’aide de 2 ou 3 points avec un fil de Nylon 10/0 est réalisée. Ces points doivent être pré-descemétiques.
Remarque : Il est important de ne laisser aucun fragment de cristallin qui serait à l’origine d’une uvéite post-opératoire à plus ou moins long terme. D’autre part, la capsule postérieure est très fragile et ne doit pas être lésée lors de la phaco-émulsification. Une rupture capsulaire postérieure entraîne une issue de vitré qui doit être traitée par vitrectomie à l’aide d’un vitréotome. Cet accident per-opératoire peu fréquent augmente le risque de complications post-opératoires (glaucome, décollement rétinien).
Technique de phaco-émulsification
Méthode extra-capsulaire de chirurgie de la cataracte. A travers une incision cornéenne réduite (3,2 mm), des ultra-sons fournis par une sonde fragmentent le cristallin. Les morceaux de cristallins émulsionnés sont aspirés hors de l’oeil par un système d’irrigation et d’aspiration.
Traitement post-opératoire
Le traitement post-opératoire consiste en l’instillation de collyres anti-inflammatoires, mydriatique et hypotenseur. Les corticoides sont nécessaires, mais doivent être instillés le moins souvent possible chez les animaux diabétiques compte tenu du passage systémique non négligeable après administration par voie topique (instillation de Maxidrol(r) collyre par exemple à raison d’une goutte 3 fois par jour).
Les anti-inflammatoires non stéroidiens ont une action très intéressante suite aux interventions intra-oculaires, d’autant plus chez les animaux diabétiques chez lesquels l’emploi de corticoïdes doit être limité au maximum (instillation d’Indocid(r) collyre ou d’Ocufen(r) collyre 5 fois par jour).
Un collyre mydriatique est prescrit pendant une dizaine de jour (Mydriaticum(r) collyre ou Atropine 0,5% collyre). Enfin, un agent hypotenseur est prescrit à titre préventif pendant quelques semaines (Timoptol(r) 0,5% collyre).
Un traitement anti-inflammatoire avec un AINS par voie générale (Finadyne(r), Tolfédine(r) ou Ketofen(r)) est prescrit pendant 4 jours chez les animaux diabétiques. Ce traitement remplace avantageusement l’emploi de corticoïdes par voie générale qui est préconisé lors de chirurgie de la cataracte chez les animaux non diabétiques.
Les animaux sont rendus le jour même de l’intervention à leur propriétaire.
Contrôles post-opératoires
Des contrôles réguliers sont réalisés dans le but d’évaluer la transparence des milieux oculaires (recherche d’un effet Tyndall, d’un éventuel oedeme cornéen), de mesurer la pression intra-oculaire par tonométrie et enfin de tester la vision (réflexe de clignement à la menace, test de la boule de coton et comportement de l’animal face à un obstacle).
Résultats
Aspect post-opératoire chez plusieurs chiens opérés de la cataracte
Chirurgie de la cataracte : Taux de réussite (selon Nasisse et Severin)
– Technique extra-capsulaire manuelle : 80-85%
– Technique de phaco-émulsification : 95%
Une étude Américaine (Bagley et Lavach, 1994) a consisté à comparer les résultats obtenus après phaco-émulsification chez 123 chiens non diabétiques et chez 30 chiens diabétiques. Cette étude révèle que le taux de complications, en particulier l’uvéite post-opératoire, est équivalent dans les deux groupes. Des corticoïdes par voie générale étaient administrés aux animaux non diabétiques (avant et après l’intervention) alors que les animaux diabétiques recevaient de la flunixine méglumine en IV en pré-opératoire et de l’acide acétyl salicylique en post-opératoire.
– Le pourcentage de succès du traitement chirurgical est meilleur avec la technique de phaco-émulsification qu’avec la technique extra-capsulaire manuelle (Nasisse, Severin).
– Plus la cataracte est opérée tôt, meilleurs sont les résultats.
b/ Les autres techniques chirurgicales
Les différentes techniques :
– Extraction intracapsulaire : vise à retirer le cristallin dans sa totalité. Cette intervention est permise chez les carnivores domestiques lorsque le cristallin est complètement luxé car contrairement à l’homme, le chien a une zonule de Zinn qui est résistante à la trypsine et un ligament hyaloido-capsulaire très solide entraînant une forte issue de vitré avec les complications graves que cela implique.
– Extraction extra-capsulaire : vise à retirer le cristallin de son enveloppe capsulaire laissant en place la totalité de la capsule postérieure comme écran entre le segment postérieur et le segment antérieur.
Deux techniques extra-capsulaires existent :
– La technique manuelle classique qui vise à extraire le cristallin par une large incision cornéenne nécessitant de 9 a 12 points de suture et qui, par conséquent, expose les suites opératoires à des risques de complications immédiates ou à long terme non négligeables.
– La technique de phaco-émulsification (décrite ci-dessus): vise à extraire le cristallin cataracté de son sac par une incision étroite de 3,2 mm. Elle repose sur le principe d’une fragmentation et d’une émulsification du cristallin sous l’action d’ultrasons avec aspiration mécanisée. Choix d’une technique
1/ Extracapsulaire manuelle
– Avantages
– Economique
– Efficace lorsque le cristallin est dur
– Inconvénients
– Incision large
– Temps d’intervention plus long
– pourcentage d’échec supérieur
2/ Phaco-émulsification
– Avantages
– Petite incision cornéenne
– Technique facile et rapide
– Excellents résultats
– Inconvénients
– Matériel plus onéreux
– Difficile si le cristallin est dur
Traitement chirurgical de choix en fonction du type de cataracte
Type de cataracte
Traitement chirurgical de choix
Cataracte congénitale
Extraction extra-capsulaire par aspiration
Cataracte « molle » d’apparition récente
Extraction extra-capsulaire par phaco-émulsification
Cataracte sénile avec noyau très dur
Extraction extra-capsulaire manuelle
Cataracte associée à une subluxation du cristallin (zonule dégénérée) ou une luxation
extraction intra-capsulaire
Notons que chez les jeunes chiens le contenu du cristallin est mou et peut donc être aspiré au travers d’une petite incision de la capsule antérieure (Technique d’aspiration). L’incision cornéenne et l’incision de la capsule antérieure ne dépassent pas 2 mm.
3/ Complications post-opératoires
L’opération de la cataracte reste une opération à risque : chez l’animal comme chez l’homme, le 0% d’échecs n’existe pas. Certaines sont prévisibles, d’autres ne le sont pas. Elles peuvent être d’apparition immédiate ou plus tardive. Cependant, le risque d’échec est réduit au minimum par la bonne sélection des candidats à l’intervention, la maitrise de la technique, l’asepsie et enfin par le suivi post-opératoire rigoureux.
– L’uvéite post-opératoire : il s’agit d’un problème courant chez le chien. L’utilisation de la technique par phaco-émulsification réduit de façon notable cette uvéite post-opératoire.
– Le traitement anti-inflammatoire mis en place par voie générale, sous-conjonctivale et topique contribue aussi à réduire cette inflammation précoce. Lorsqu’ils sont modérés, les signes inflammatoires disparaissent en quelques jours. Il est important de noter que l’uvéite phaco-antigénique prédispose beaucoup à une uvéite post-opératoire intense.
– Athalamie – hypothalamie : Une déhiscence des points dans les jours consécutifs à l’intervention conduit à une fuite d’humeur aqueuse entrainant une athalamie. Cette complication reste rarissime depuis l’avenement de la phaco-émulsification qui réduit considérablement la taille de la plaie cornéenne (3,2 mm).
Les autres complications possibles sont :
– Oedeme cornéen stromal
– Hyphéma
– Hypertonie
– Hypotonie
– Endophtalmie
– Ascension pupillaire
– Uvéite chronique
– Opacification capsulaire (ou cataracte secondaire)
– Décollement rétinien
Bibliographie
1/ Gelatt K.N., Gelatt J.P. : Handbook of Small Animal Ophthalmic Surgery. Pergamon, 1994.
2/ Romano F. : La phacoémulsification en ophtalmologie vétérinaire : compréhension et maîtrise du fonctionnement de l’appareil et des gestes chirurgicaux. Thèse pour le Doctorat Vétérinaire, ENVL, 1995.
3/ Chaudieu G, Molon-Noblot S : Le cristallin. P.M.C.A.C., 1997, 32 (Supplément) : 169-191.
4/ Desbrosses A.M., Gaiddon J., Lazard P., Rosolen S.G. : Phaco-émulsification et implantation chez l’animal. Cours du C.E.S. d’ophtalmologie de Toulouse, 1997.
5/ Laforge H : Technique extra-capsulaire de l’opération de la cataracte chez le chien. P.M.C.A.C., 1986, 21, 169-174.
6/ Nasisse MP et coll : Phakoemulsification and intraocular lens implantation : a study of surgical results in 182 dogs. Prog. Vet. Comp. Ophthalm., 1991, 225-238.